Ruy Blas, Victor Hugo, 1838

Espagne. 1698. Don Salluste, noble disgracié par la reine, se sert de son valet Ruy Blas pour orchestrer sa vengeance. Il lui propose de le faire passer à la cour pour un grand d'Espagne, le seigneur César de Bazan, et de faire sa fortune s'il séduit la Reine et devient son amant. Au bout de quelques mois, Ruy Blas devient Premier ministre et s'attire les faveurs de la reine, Dona Maria, dont il est amoureux en réalité depuis le début de la pièce. Après de multiples péripéties, Don Salluste savoure sa vengeance : il a réussi à compromettre la reine avec un misérable valet : elle est ainsi déshonorée. Mais Ruy Blas réagit. 

ACTE V, scène 3

Ruy Blasterrible, l'épée de don Salluste à la main.
Je crois que vous venez d'insulter votre reine !
Don Salluste se précipite vers la porte. 
Ruy Blas la lui barre.
— Oh ! N'allez point par là, ce n'en est pas la peine,
J'ai poussé le verrou depuis longtemps déjà. — 
Marquis, jusqu'à ce jour Satan te protégea,
Mais, s'il veut t'arracher de mes mains, qu'il se montre.
— À mon tour ! — On écrase un serpent qu'on rencontre.
— Personne n'entrera, ni tes gens, ni l'enfer !
Je te tiens écumant sous mon talon de fer !
— Cet homme vous parlait insolemment, madame ?
Je vais vous expliquer. Cet homme n'a point d'âme,
C'est un monstre. En riant hier il m'étouffait.
Il m'a broyé le cœur à plaisir. Il m'a fait
Fermer une fenêtre, et j'étais au martyre !
Je priais ! Je pleurais ! Je ne peux pas vous dire.
Au marquis.
Vous contiez vos griefs dans ces derniers moments.
Je ne répondrai pas à vos raisonnements,
Et d'ailleurs — je n'ai pas compris. — Ah ! Misérable !
Vous osez, — votre reine, une femme adorable !
Vous osez l'outrager quand je suis là ! — Tenez,
Pour un homme d'esprit, vraiment, vous m'étonnez !
Et vous vous figurez que je vous verrai faire
Sans rien dire ! — Écoutez, quelle que soit sa sphère,
Monseigneur, lorsqu'un traître, un fourbe tortueux,
Commet de certains faits rares et monstrueux,
Noble ou manant, tout homme a droit, sur son passage,
De venir lui cracher sa sentence au visage,
Et de prendre une épée, une hache, un couteau ! ... —
Pardieu ! J'étais laquais ! Quand je serais bourreau ?

La Reine.
Vous n'allez pas frapper cet homme ?

Ruy Blas.
Je me blâme
D'accomplir devant vous ma fonction, madame,
Mais il faut étouffer cette affaire en ce lieu.
Il pousse don Salluste vers le cabinet.
— C'est dit, monsieur ! Allez là-dedans prier Dieu !

Don Salluste.
C'est un assassinat !

Ruy Blas.
Crois-tu ?

Don Sallustedésarmé, et jetant un regard plein de rage autour de lui.
Sur ces murailles
Rien ! Pas d'arme !
À Ruy Blas.
Une épée au moins !

Ruy Blas.
Marquis ! Tu railles !
Maître ! Est-ce que je suis un gentilhomme, moi ?
Un duel ! Fi donc ! Je suis un de tes gens à toi,
Valetaille de rouge et de galons vêtue,
Un maraud qu'on châtie et qu'on fouette, — et qui tue !
Oui, je vais te tuer, monseigneur, vois-tu bien ?
Comme un infâme ! Comme un lâche ! Comme un chien !

La Reine.
Grâce pour lui !

Ruy Blasà la reine, saisissant le marquis.
Madame, ici chacun se venge.
Le démon ne peut plus être sauvé par l'ange !

La Reineà genoux.
Grâce !

Don Sallusteappelant.
Au meurtre ! Au secours !

Ruy Blas, levant l'épée.
As-tu bientôt fini ?

Don Sallustese jetant sur lui en criant.
Je meurs assassiné ! Démon !

Ruy Blasle poussant dans le cabinet.
Tu meurs puni !
Ils disparaissent dans le cabinet, dont la porte se referme sur eux.

La Reinerestée seule, tombant demi-morte sur le fauteuil.
Ciel !
Un moment de silence. Rentre Ruy Blas, pâle, sans épée. 

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